La LEGENDE - LEGEND
Published for the first time in December 1925, the legend of the Sacred Cat of Burma is refined for us by Miss Marcelle Adam, adapting a tale told by Miss Léotardi.
Publiée pour la première fois en Décembre 1925, la légende du Chat Sacré de Birmanie est rapportée par la plume littéraire de Mme Marcelle Adam qui raffine pour nous un récit rapporté par Mme Léotardi.
Bien avant la venue du Bouddha, bien avant la naissance du brahmanisme, avant même que Vyâsa eût dicté les paroles immortelles de ses livres divins, le peuple khmer gardait jalousement ses temples, où vivaient les Kittahs, prêtres vénérables si près de la perfection que leur esprit, avant de conquérir l’éternelle extase, passait seulement dans le corps d’un chat sacré, le temps de son existence animale. Mais, dès l’origine des mondes, les saints désapprouvèrent ceux qui ne se sanctifiaient point à leur manière. Ainsi firent les Brahmanes qui s’attaquèrent aux Kittahs et les massacrèrent pieusement. Cependant quelques-uns des vénérables purent s’échapper à travers les montagnes inviolables de la Birmanie du nord et là ils fondèrent le temple souterrain de Lao-Tsun, ce qui veut dire habitation des dieux.
Ce temple est une merveille entre les merveilles de l’Indochine. Non loin d’un lac, il est perdu dans un chaos de pics immenses, et si, par une extraordinaire faveur, mon ami anglais put y pénétrer, c’est qu’il lui advint de protéger les derniers Kittahs contre les impitoyables Brahmanes. Il put donc contempler les cent chats sacrés du culte et connaître leur histoire.
Quand avec la lune malveillante, vinrent les « phoums » ou, si tu préfères un langage plus clair, les maudits Siamois-Thais, quand vinrent ces barbares dans les montagnes du Lugh, dans les montagnes du Soleil, était au temple de Lao-Tsun le plus précieux d’entre les précieux: celui dont le dieu Song-Hio avait lui-même tressé la barbe d’or. Le Vénérable avait toujours vécu dans la contemplation de Tsun-Kyanksé, la déesse aux yeux de Saphir qui préside aux transmutations des âmes, dont le nombre est compté. Jamais il ne détournait les regards de son image sculptée. Il s’appelait Mun-Hâ. Il avait un oracle sans lequel il ne prenait aucune décision: son chat Sinh, que les autres Kittahs révéraient avec ferveur. »
Sinh, assis près de son redouté maître, vivait aussi dans la contemplation de la déesse. Le bel animal! Ses yeux étaient jaunes comme l’or, jaunes du reflet de la barbe métallique de Mun-Hâ et du corps ambré de la déesse aux yeux de saphir. Un soir, au lever de la lune, les Thaïs approchèrent de l’enceinte sacrée. Alors, invoquant le Destin menaçant des siens, Mun-Hâ mourut chargé d’ans et d’angoisses. Il mourut devant sa déesse, ayant auprès de lui son chat divin. Et les Kittahs se lamentèrent d’une perte aussi cruelle, sous les menaces de l’invasion. En cet instant, se produisit le miracle de la transmutation immédiate. Sinh bondit sur le trône saint, arc-bouté sur le chef de son maître affaissé, face à la déesse. Et les poils de son échine blanche devinrent d’or et ses yeux, ses yeux jaunes du jaune des ors de Tsun-Kyanksé, jaune du jaune de la barbe tissée par le dieu Song-Hio, ses yeux devinrent bleus. Immenses et profonds saphirs, pareils aux yeux de l’idole. Ses quatre pattes du brun de la terre, ses quatre pattes qui touchaient le crâne vénérable se firent blanches, jusqu’au bout des doigts purifiés par le contact du puissant mort. Il tourna vers la porte du sud ses regards précieux où se lisait un ordre dur, impératif, auquel, poussés par une force invincible, les Kittahs obéirent. Ainsi fermèrent-ils sur l’ennemi ancestral les portes de bronze du temple saint. Puis, passant par leurs souterrains, ils mirent en déroute les profanateurs. Sinh, refusant toute nourriture, ne quitta plus le trône. Il demeura debout, face à la déesse, mystérieux, hiératique fixant ses prunelles d’azur sur les yeux de saphir dont il prenait la flamme et la douceur. Sept jours après la mort de Mun-Hâ, droit sur les pattes purifiées de blanc, sans baisser les paupières, il mourut, emportant vers Tsun-Kyanksé l’âme de Mun-Hâ, trop parfaite pour la vie terrestre. Mais une dernière fois, son regard tourna lentement vers la porte du sud d’où plus tard, vinrent en nombre les hordes annamites et cambodgiennes.
Sept jours encore après la mort de Sinh, les Kittahs s’assemblèrent devant Tsun-Kyanksé pour décider de la succession de Mun-Hâ. Alors, ô merveille, ils virent venir en troupe lente les cents chats du temple. Leurs pattes étaient gantées de blanc, leur pelage neigeux avait des reflets d’or et les topazes de leurs yeux s’étaient muées en saphirs. Les Kittahs se prosternèrent dans une attitude de dévot effroi. Et ils attendirent. Ne savaient-ils pas que l’âme de leurs ancêtres habitait les formes harmonieuses des animaux sacrés? ceux-ci, graves et souples, entourèrent Ligoa, le plus jeune des prêtres qui connurent ainsi la volonté du ciel.
ENGLISH VERSION
“ In those days,” began slowly our female friend [this is Mrs Adams], “in a temple built at the flanks of the Mount of Lugh, lived in prayer the venerable Kittah Mun Ha, Grand Lama, precious amidst the precious, from which the very god Song Hio braided the golden barb … There was not a minute, not a gaze, not a thought of his existence that wasn’t dedicated to the adoration, the contemplation, and the pious service of Tsun Kyankzé, the goddess with sapphire eyes, the one who presides over souls’ transmutation, the one who allows the Kittahs to come back to life again in the form of a sacred animal, to the time of its existence, before returning back in a body haloed with the total and holy perfection of the grand priests. Close to the god, Sinh, the dear oracle, meditated. He was a completely white cat, with yellow eyes, from the reflection of his master’s golden barb and from the golden body of the goddess with sky eyes … Sinh, the counselor cat, whose ears, nose, tail and extremities were the color of the soil, the brand of a stain and impurity for all that touches or can touch earth.
Now, one night, as the malevolent moon allowed the cursed Phoums coming from the loathed Siam to approach from the holy enclosure, the Grand Priest Mun Ha–without ceasing to implore the cruel destinies–entered slowly in death, with his divine cat at his side and under the anguished eyes of all the devastated kittahs …. Then a miracle happened… the unique miracle of immediate transmutation: at one jump, Sinh was on the golden throne and perched on his saggy master… He braced himself on this head, heavy with years, and which, for the first time was not gazing to his goddess… As the cat stayed in its turn deadpan in front of the eternal statue, one could see the bristling nap of his white backbone suddenly becoming golden yellow. As his golden eyes became blue, immense and profound like the goddess’ eyes. And, as he was slowly turning his head toward the southern entrance, his four paws, which were touching the venerable crane, becoming flashing white until the place recovered by the silk of the sacred clothes. Then, as his eyes turned toward the southern entrance, the kittahs, obedient to this imperative gaze, loaded with hardness and light, hurried up to close the heavy bronze door on the first invader…
The temple was saved from profanation and looting… Sinh had not left the throne. On the seventh day, without having made one movement, facing the goddess, his eyes in her eyes, he died, mysterious and hieratic, taking Mun Ha’s soul away to Tsun Kianksé, as he was too perfect for earth now…
And when seven days later, the priests assembled in front of the statue, and consulted in order to decide Mun Ha’s succession, they saw all the temple’s cats running up together … All the cats were clothed with gold and white gloves and all their yellow eyes had changed to deep sapphire… Then, all of them in silence surrounded the youngest Kittah, chosen by the reincarnated ancestors according to the goddess will…
And now–pinpointed the storyteller woman–when a sacred cat dies in the Lao-Tsun temple, a Kittah’s soul replaces forever his place in the golden god Song Hio’s paradise. But also, she concluded, “Woe to the one who hastens the end of one of these marvelous animals. Even if he didn’t want to. He will suffer the cruelest torments until the sad soul he disturbed finds peace…”